*La musicienne était sortie de sa première période de cours...bordel, elle s’était fait chier… Pour se réconforter d’avoir atterri dans cet enfer, ou les autres étudiants en musique avaient autant subtilité que des Manchots Empereurs, elle s’alluma une cigarette, une bouffée toxique dont elle aimait l’odeur, surtout quand elle était accompagnée par celle du café bien chaud, tout droit venant du Brésil. C’était une sale habitude qu’elle avait prise a force de s’enivrer de l’odeur si entêtante des clopes de Jenni. D’ailleurs, il est rare de la voir fumer quand elle a de la compagnie. Elle ne cède a ce vice qu’avec de personnes particulières, qu’elle trouve digne de souffrir ce mélange suave de tabac, de clou de girofle et de cannelle. Oui, la donzelle fume des Indiennes et elle aime ca. Elle prend toujours cette marque, on ne les trouve qu’en Finlande, et d’ailleurs, ca la rassure, sur cette terre ou elle n’avait jamais foutu les pieds d’avoir un bout de cette ville qu’elle chérit tant : Helsinki.

D’un mouvement souple elle posa Baldr contre un des bancs qui garnissaient la berge du lac, puis, elle sorti de son sac Hermès son Iphone. Elle enclencha la fonction MP4 de ce dernier et commença à déverser dans ses oreilles les premières notes d’ « Anything but love » d’Apocalyptica. Sans se soucier des gens qui pourrait se trouver autour d’elle, la brunette se mit a fredonner les paroles comme si c’était la chose la plus naturelle. Une chose était sure pour l’oreille habituée a ce groupe venu du froid : elle foutait la misère a Cristina Scabbia, ne se laissant a aucun moment influencer par la voix de l’italienne, juste se callant sur Perttu et ses lignes mélodiques versatiles, aux coloratures toutes en nuances et en souplesses ; se fiant a l’approche plus rythmique de Paavo, véritable « bassiste » permettant au jeu d’Eicca de rejoindre celui de Perttu, Elle en était arrivée a se dire que la dynamique du morceau reposait avant tout sur la capacité d’Eicca a se faire violence dans la douceur de son jeu, mêlant ses coloratures moins subtiles mais plus fermes , permettant d’accrocher le chant tout en délicatesse , pour ne surtout pas briser une ligne aussi fragile que celle d’une voix humaine. Les lignes s’entremêlaient, se laissant a chacune la place d’évoluer a sa guise sur la partition aux phrases pourtant complexes qu’elle offrait a l’auditeur. Quand on prenait vraiment le temps d’écouter, on se rendait compte que même si rien n’était placé au hasard, on pouvait quand même sans risque aucun, se laisser aller a l’improvisation de n’importe quelle partie dans abimer le reste de l’œuvre… c’était la que réside le génie : c’est impossible a déformer, démanteler… sauf si l’on est trop mauvais pour biter quelque chose a la délicate alchimie que propose ce morceau. Rain fut surprise de la vitesse a laquelle passa le morceau, lui qui d’habitude était un instant de grâce hors du temps s’était écoulé bien vite a son gout. Elle allait retirer sur sa clope quand elle s’aperçu qu’elle s’était éteinte, consumée toute seule au bout de ses doigts. *

Perkele !

Spoiler:

*un juron habituel chez elle. Ceux qui l’entendaient pour la première fois, se retournaient souvent de surprise. D’autres habitués savaient qu’elle était dans la place, ou même à force n’y faisaient plus attention tant elle jurait comme un camionneur. Encore une fois, le Juke box vivant qu’elle était avait encore vidé son sac d’émotions en quelques notes et putain de merde quel bien ca faisait ! Elle se lança dans la contemplation de la nature environnante, un sourire détendu et satisfait sur les lèvres. *

Sohan venait de quitter le cours de lettres. Le professeur l'avait obligé à se présenter à sa classe. Clope au bec, une fois n'est pas coutume, il décida qu'il était grandement temps de retourner un moment à sa solitude. Il fit un bref résumé de sa journée. Il avait rencontré Noah & Rain au réfectoire, et retrouvé sa cousine Nikie dans la cour de l'établissement. Des bonnes nouvelles, en somme. Mais Sohan avait malgré tout besoin de calme, un calme qu'il n'obtenait que dans ses livres. Ainsi, il s'installa non loin de la rive, retira ses pompes, et s'allongea, sortant Fin De Partie, de Samuel Beckett. Il connaissait la pièce par cœur, s'amusant toujours autant de l'ironie dont l'auteur était capable de faire preuve. Les références bibliques totalement incongrues, les répétitions, et même la chute du quatrième mur, tout ça était d'une ingéniosité sans pareille. Samuel Beckett, ce génie littéraire, qui avait bien compris la nature humaine, au point de réussir à devenir un dramaturge célèbre, sans même que les gens ne comprennent qu'En Attendant Godot exprimait le dégoût de la Vie, et le non-sens de cette dernière face à une attente interminable. Le rouquin se délectait de la douleur que s'infligeaient les personnages, et était d'accord avec Nell : il n'y a rien au monde, de plus drôle que la Misère.

Il entendit non loin de là, une voix qu'il avait déjà entendue aujourd'hui. Mais cette voix n'avait plus ce timbre narquois, et ce qu'elle dévoilait n'était plus une vulgarité sans pareille. Il tourna la tête, avec un peu de mal toutefois : réussir à se décrocher de la pièce de Beckett relevait de l'exploit. Il aperçut Rain, en train de visiblement s'adonner au chant.

~ Bon sang. Elle se démerde bien, la pute. ~

Lui-même chantait, mais moins bien qu'elle. Il avait du mal à saisir sa voix, à en faire quelque chose de fluide. Puis, sa respiration demeurait pulmonaire, et non ventrale, ce qui rendait son chant parfois nasillard. Pour chanter du Sex Pistols, c'était impeccable : non seulement il avait la même crinière rousse que Johny Rotten, mais en plus il chantait de la même manière. Enfin, il savait au moins chanter français sans que son accent irish ne vienne bousiller ses vocalises. Il se leva, et s'approcha de la métisse avec un rictus.

- Hep. J'te dérange pas au moins.

Ça n'était pas une question. Sohan avait envie de connaitre Rain un peu mieux que ça ; après tout, s'il avait réussi à entretenir une conversation avec un être tel que Noah, il pouvait aisément s'adresser à la violoncelliste. Il s'abstint toutefois de commencer les hostilités verbales.

De toute manière, du peu qu'il en avait vu, ça n'allait surement pas tarder..!

*Elle observait les cygnes qui s’ébattaient dans la joie et la bonne humeur sur le la, son pied battant la mesure « d’une version Live et un poil plus Speed de « Blind in Texas ». Ca ne faisait que quelques secondes qu’elle s’était tue, mais au vu du calme qui régnait au bord du lac, elle avait du déranger par son chant les plus petits animaux des environs immédiats. Rain sursauta légèrement quand la voix de Sohan résonna a coté d’elle.
Il faut dire qu’elle se croyait seule a cet instant précis, même si elle se foutait complètement d’avoir été entendue ou non. Elle eu un vrai sourire pour lui, ce qui n’était pas rare quand elle était parfaitement détendue, encore prise dans l’instant de musique qu’elle venait de s’offrir.*

Non, tu ne me dérange pas.

*Elle eu un roulement de tête typique des danseuses orientales pour se replacer les cervicales qu’elle mettait souvent a mal en jouant de trop longues heures d’affilées.*

Je viens de prendre la pause dont j’avais le plus grand besoin.

*l’odeur de la cigarette de Sohan vint lui rappeler qu’elle n’avait pas eu droit à la sienne en entier, consumée avant qu’elle n’ai eu le temps de s’en rendre compte. Elle décida de s’en allumer une autre, n’étant pas plus dérangée que ca de s’offrir ce plaisir en compagnie d’un des deux gossip boys qu’elle avait croisés au réfectoire.
Elle décida d’engager la conversation, après tout, elle s’attendait a toute la franchise dont il était capable, et ce en toutes circonstances avec le punk. *

Toi aussi t’as perm ou tu sèches déjà ?
Remarque ca m’étonnerais pas vu la qualité des profs qu’on se tape ici…

*elle eu une sale pensée pour un crétin qui prétendait avoir étudié l’opéra a Rome sous la houlette des meilleurs enseignants. La violoncelliste avait été toute désignée pour l’accompagner sur « La Donna é Mobile »… jamais ses oreilles n’avaient autant souffert …( sauf peut etre en entendant Tarja Turunen en Live pendant un cours a l’akatemia… d’ailleurs ca lui avait fait mal que cette pseudo chanteuse lui ai corrigé sa position pour chanter alors qu’elle-même venait de faire une démonstration plus que merdique, enchainant les fausses notes, n’étant pas capable de tenir une rythmique… ) Mais la ce qui l’avait foutue sur le cul, c’est qu’après avoir félicité Rain pour son accompagnement parfait, il ai encensé le petit débile qui s’était lancé dans un répertoire de ténor avec une voix de baryton… et pour avoir juste massacré cette œuvre de l’opéra farce italien… Elle regrettait vraiment de devoir poursuivre ses études ici… Ça y était, elle était a nouveau sur les nerfs... *

Le punk s'installa près d'elle, répondant au sourire de Rain par un autre sourire, toutes dents dehors, signifiant clairement qu'il était ravi de pouvoir partager un moment avec elle. Et c'était vrai : il n'avait jamais autant accroché au caractère de quelqu'un. L'européenne avait quelque chose de fascinant, alliant une virtuosité dans ses actions, et un côté bourrin dans ses paroles. Il avait à peine terminé sa Lucky qu'il en avait encore envie. Et merde, le paquet était vide. Penser à en racheter très vite, ou un meurtre risquait d'arriver dans les prochaines heures. A la question de Rain, il eut un petit rire.

- Non, j'ai fini les cours. Apparemment, être en Lettres a ses avantages...

Il tortillait ses pieds entre eux. Encore un tic. Sohan adorait passer du temps pieds nus dans l'herbe. C'était sans doute son côté hippie. Il pensa soudain à Helen, une fois de plus. Malgré qu'il lui en voulait toujours de l'avoir collé à Westfield, il regrettait la présence de Super-Hippie. Certes, elle était chiante par moments, mais sa tante avait été une mère adoptive absolument fantastique. Mais faut avouer, elle était chiante. Il continua sur sa lancée.

- Je ne vais pas me prononcer sur mon prof de Lettres. Il semble qu'il ait de bonnes dispositions...

Ouais. Bon, ça, c'était plus pour se rassurer lui-même, parce que visiblement, son prof était un peu fantasque. Il avait des faux airs de l'albinos, Noah, dans sa manière de perdre le fil de ses idées. Sohan observa Rain s'allumer sa clope. Une odeur d'épices vint lui piquer le nez ; on aurait dit que sa tante avait allumé un feu d'encens que l'on pouvait sentir depuis Swansea. Sourire.

~ J'vais quand même pas commencer à la taxer... ~

*Elle tira sur sa cigarette, la deuxième de son paquet tout neuf. Elle le posa entre eux, signe de confiance, Enfin, elle en était pas au stade ou elle aurait placé Baldr entre le Punk et elle. Faut pas déconner tout de même. Elle reprit la conversation d’un ton plutôt morne, visiblement contrariée que sa première impression de l’école soit bonne. *

Moi j’ai encore une heure… Chant classique… Autrement dit lyrique…
Vu le bordel que c’était en pratique instrumentale… j’me tâte a pas y aller… j’ai pas envie de perdre mon temps avec des imbéciles qui n’y bitent rien… j’te jure c’était … comment dire… irréel… les mecs sont censés prendre des cours depuis au moins 10 ans et ya rien… sinon un niveau débutant…
Visiblement pour eux, c’est pas une passion, c’est un passe temps, la musique…

*Elle fronça son nez typiquement argentin, arborant un air franchement dégouté. Pour Rain, il n’y avait que la musique, et toutes les influences que pouvaient lui apporter le monde qui l’entourait… du moins tout ce qu’elle pouvait exprimer par la musique, et a ce niveau la, la palette etait large. la métisse était du genre a pouvoir jouer une demi heure une impro après avoir lu un haiku de matsuo Basho. *

Enfin… il parait qu’on a une pure prof en lyrique j’vais p’tete aller faire un tour… c’est pas ma spécialité le chant, Alors j’peux pas trop faire la fine bouche… j'espère juste que ca sera pas un cours pour noob aussi. Sinon je sens que je ne vais pas faire de vieux os ici...

*Elle perdit son regard sur les doux remous des vagues provoquées par le vent a la surface de l'eau, songeuse. Rain sembla sortir assez vite de sa léthargie et le vit lorgner sur sa cigarette. Elle lui tendit son paquet négligemment, mais le geste n'était en rien anodin, ce n'était pas une simple dépanne de clope, elle lui offrait une saveur de son monde a elle.*

Tu peux en prendre une ... par contre elles ont un gout spécial, je sais pas si ca te plaira... clou de girofle, cannelle et tabac brun. On en trouve pas ici...

Tout en extirpant une cigarette à la cannelle du paquet de Rain, Sohan jugea qu'entretenir la conversation avec elle était une bonne chose. Elle semblait intelligente et passionnée, et Sohan respectait les passions des gens, si elles étaient sérieuses. Il exprima donc son avis sur la chose.

- Chant lyrique... ça peut être intéressant. J'ai beau être en Lettres, je suis assez pris par le chant, moi aussi. Je suis très loin d'être un bon, mais je sais qu'avec de l'entrainement, je pourrais presque atteindre ton niveau. C'était du très bon, tout à l'heure. Apocalyptica, si je ne m'abuse, en plus...

Il piqua son briquet, rangé à l'intérieur du paquet.

- En ce qui concerne les profs, peut-être était-ce une mauvaise surprise. Tous les profs ne peuvent pas être incompétents... Mais j'suis comme toi. J'suis pas venu pour qu'on me rabatte les oreilles avec du resucé... Par contre, j'ai croisé un prof tout à l'heure, qui n'avait pas l'air commode, devant les salles de philosophie. Si c'est lui mon instit' en philo, je sens que j'vais m'amuser...

Il alluma la clope. Putain. Ce goût, cette saveur... Il n'avait jamais rien goûté de pareil en matière de clopes. Lui qui pensait avoir tout fumé, là, il n'en revenait pas. C'était comme si quelqu'un avait passé les cigarettes dans un élixir de cannelle pure, avec ce zeste de clou de girofle, très léger, mais qui piquait légèrement la langue. Un délice. La fumée, épaisse, s'échappa de sa bouche où se dessinait un sourire, signifiant qu'il était plus que conquis.

- Excellentes, tes clopes. J'sais pas du tout où tu les trouve, mais à l'occasion, faudra que j'en achète un paquet tiens.

*Elle esquissa un sourire geisha-esque. Le chant, c’était pour elle au même niveau que le violoncelle, a la différence près qu’avec le chant, ca venait directement d’elle et non de son compagnon a cordes. Ce qu’elle aimait avec cette discipline c’était le fait qu’on ne puisse obtenir une émotion que par les mots que l’on met en note. Il n’y a pas d’émotion pure, c’est forcement un mélange de vécu, d’imaginaire et de mensonge, même si d’une certaine manière on se doit d’être le plus vrai possible sur chaque note, pour ne pas tromper.
Elle se souvint de ce qu’avait dit une fois Till Lindermann, passé a l’Akatemia pour leur donner un cours de théorie musicale. Une petite première année qui avait commencé a chanter grave a Tarja Turunen lui avait demandé comment il faisait pour avoir un stade en larmes juste a près le premier couplet de Zeemann. L’allemand lui avait répondu, un large sourire aux lèvres qu’il y a deux catégories de chanteurs : ceux qui s’imprègnent du rôle, qui le vivent sur scène et qui se retrouvent finalement en larmes sans que leur publique ne ressentent pas la moitié de ce qu’ils éprouvent, et les autres, ceux qui sont conscient de jouer un rôle et qui se donnent le recul nécessaire a chaque interprétation pour doser cet échange subtil, invisible mais parfaitement palpable pour peu qu’on y fasse attention. Qu’en fait, chanter, c’est surtout jouer. Jouer avec les autres, s’impliquer a deux cent pour cent, sans toutefois se compromettre dans son intégrité identitaire. On raconte une histoire, on fait croire qu’on la vit. Rain était du même avis, et que tant qu’on n’a pas comprit cela, on ne peut pas chanter. Elle se savait bonne sur le plan technique, mais hésitante au niveau de l’émotion, ou du moins c’était l’impression qu’elle avait d’elle-même.*

C’est très intéressant, très dur aussi. Il ne suffit pas d’ouvrir le bec en se disant « aujourd’hui, je tape le Si majeur ! » il faut d’abord comprendre toute la mécanique du corps avant de se lancer… On peut se faire sévèrement mal si on ne se prépare pas bien.

Tout a l’heure c’était plus metal, ya juste besoin des bases en respiration… mais avec Apo et leur jeu over riche, c’est plus trouver ta mesure qui est hard et la bonne ligne a suivre. J’ai une préférence pour Perttu alors que Cristina, elle suit Paavo…

*Elle leva les yeux , regardant les nuages passer au dessus de la frange d’arbre, appréciant le vol de deux corbeaux, ca la fit sourire légèrement, avant de reprendre.*

j’espère aussi que c’est le seul a être aussi incompétent. Sinon ca va vraiment être coton.

*C’allait déjà être le parcourt du combattant pour que la métisse ne vole pas dans les plumes de ses petits camarades plus empotés les uns que les autres, alors si les profs s’y mettaient, elle allait sévèrement déprimer… la remarque de Sohan a propos d ces cigarettes lui décrocha un rictus.*

On en trouve pas ici. Je me les fais livrer directement de Finlande. Ou alors je rapporterai moi-même mes cartouches quand j’irais faire un saut la bas pendant les vacances… je sens que ca va etre long, six semaines sans parler finnois…

*son regard se perdit une fois de plus dans le vide, ou plutôt sur l’herbe qu’un jardinier essayait tant bien que mal de discipliner, sans grand succès, les plantes semblaient prendre un plaisir pervers a repousser de la manière la plus anarchique qu’il soit.*

Sohan prenait plaisir à écouter Rain. Elle déclamait ses connaissances en matière de musique avec une telle force dans la voix, une telle conviction, que c'en était presque émouvant. Il écoutait chaque trémolo de sa voix qui, même dans l'a cappella, même dans la prose simple, demeurait tout simplement pure, et mélodieuse. L'européenne avait ce point en commun avec l'albinos, Noah ; leur voix seule permettait de comprendre combien la musique était importante pour eux. Elle coulait dans leurs veines. Il lui semblait voir un peu de lui-même dans le comportement de Rain, à savoir cette vigueur à parler de sa passion. La littérature et la philosophie étaient au punk ce qu'étaient le chant et le violoncelle à l'européenne. Et visiblement, ça n'était pas une sinécure. Il prit le temps de savourer la cigarette qu'elle lui avait généreusement offerte. Il avait conscience que, comme cette cigarette, cet instant ne durerait pas. Il comptait donc en profiter un maximum. Après que Rain ait expliqué son point de vue en matière de chant, il décida d'en faire autant, le tapotement de ses pieds contre le sol faisant office de métronome.

- Je te ferai une démonstration, à l'occasion. Pourquoi pas maintenant ?

Et sans plus attendre, il attrapa son propre téléphone, et en activa la fonction mp4. Il mit un certain temps à choisir la musique qu'il allait lui chanter, puis se décida finalement pour une bien particulière, qu'il semblait tout à fait appropriée à l'européenne. Il la ferait sans doute hurler si son chant n'était pas juste, mais il sentait que c'était ce qu'il y avait à faire de mieux. C'est ainsi qu'il se mit à entonner à pleins poumons, et c'était peu de le dire, la chanson « I Don't Care », version Apocalyptica, bien entendu. Sa voix n'était pas assurée, on le sentait. Mais il y avait de l'émotion, on sentait que le rouquin en comprenait le sens, et qu'au fond, il y avait une sorte d'expiation de la douleur à travers les notes que sa voix transmettait. En effet, Sohan crachait avec une haine non contenue la phrase « if you were dead or still alive ?.. I don't care, I don't care... » On sentait bien que ce couplet s'adressait à quelqu'un de particulier. Ses pensées, dirigées vers son père, entretenaient sa haine. Il était torturé par l'image de son géniteur, et ça se sentait. Il n'y avait rien de plus intime que le chant, au fond... Et même si ce n'était certes pas un chant digne d'un professionnel, il y avait un début de technique qui n'était pas sans laisser penser que Sohan avait longtemps essayé de travailler ses cordes vocales.

La dernière note survint. Le punk s'arrêta, regardant ses pieds, visiblement en proie à une réflexion intense. Il avait choisi cette chanson, car il sentait que Rain lui ressemblait beaucoup. Avait-il choisi la bonne ?.. Il le saurait très bientôt.

*Elle avait été un peu surprise au début en l’entendant chanter mais bien vite le naturel était revenu au galop : écouter, digérer, pointer les défauts et les qualités. C’était nasillard, peu sur, clairement pas la bonne position pour apprendre ou même rendre un son correct. Elle se gifla mentalement pour ne pas commencer des la première écoute à le corriger. Elle lui laissait le temps de voir s’il se corrigeait seul ou pas… hey bah euh… ou pas. Les défauts s’accumulent les oreilles saignent presque… Et si c’était juste a cause de… par ce que tout le reste, au niveau du texte, ca passait... même si on sentait que la chanson lui ressemblait, etait pile ce qu'il ressentait pour quelqu'un... elle aussi avait ressenti ca... mais c'était du passé...

Rain garda le silence a la fin de la chanson et fit doucement glisser la fermeture éclair de la housse contenant Baldr.
L’instrument était fait en bois sombre, finement travaillé, poli et si bien vernis qu’il en semblait laqué jusque l’intérieur de la fibre même. Le manche semblait avoir été taillé exprès pour la main de l’européenne, elle se leva l’archer coincé délicatement sous son bras. Elle le reposa le temps d’enlever sa veste John Galliano . Elle s’accorda rapidement. *

Bien, on reprend, sans l’aide vocale. Mais d’abord, respire profondément avec le ventre. Si tu sais pas comment faire : allonge toi et met ma veste sur ton ventre, il faut que tu lève ma veste quand tu inspire et qu’elle redescende quand tu expire.
Le fait d’avoir un poids va t’aider à avoir conscience du geste à faire. Quand tu dois changer de note ou d’harmonique, contracte ton estomac avec l’intensité que tu veux mettre dans ta note.

*Elle lui piqua son téléphone et son kit main libre, elle voulait juste avoir la batterie de Mikko Siren pour le tempo, au moins sur l’intro, histoire aussi de se remémorer la ligne « de basse » afin de la jouer pour Sohan. Une fois que ce fut fait, elle rendit le téléphone punk. Et commença a jouer, sans se presser, laissant le temps au jeune homme de s’habituer a sa manière de poser les notes et de tenir le rythme.*

Le rouquin lui-même avait grimacé pendant son chant. Bordel, mais c'était mauvais, archi-mauvais !.. Toutefois, Rain semblait disposée à lui donner un cours improvisé. Il suivit donc son conseil, et mit la veste de l'européenne sur son ventre. Il fut surpris de voir comme une veste de ce type pouvait être lourde. Se sentant très bête, il attendit que Rain lance le mp4. Mais visiblement, ce qui l'attendait était bien mieux : elle allait jouer de son instrument. Un sourire s'empara du visage du punk. Il avait, sous ses yeux, une démonstration d'une passionnée de musique.

Il se lança donc. C'était peu sûr, un peu nasillard. Mais, étrangement, en suivant son conseil, il sentait un changement. Changer d'octave lui faisait mal au ventre, s'il suivait le conseil de la métisse, mais toutefois, le résultat, pour une première fois, était assez plaisant. Sa voix semblait ne plus être celle qu'il avait quelques minutes plus tôt. Il y avait de la puissance, même si elle demeurait parfois très maladroite.

Pendant que les paroles défilaient dans sa bouche, il observait Rain du coin de l'œil. Stupéfiant. Elle était comme embarquée dans un autre monde par son violoncelle, et ne semblait plus attentive au monde extérieur à elle-même. Mais vu son air concentré, on voyait que, bien au contraire, elle se concentrait à la fois sur son jeu, et sur le chant de Sohan. Le punk se sentit pousser des ailes, et sa voix déchira littéralement ses propres records. De l'assurance, enfin !.. Bon, ça ne faisait pas tout, mais ça aidait indubitablement.

Et il continua, jusqu'à ce que Rain décide que le calvaire était terminé.

*Des les premières notes qu’elle avait tiré de l’instrument, Elle avait basculé dans son monde, cigarette fumante entre les lèvres, l’air concentré, les pieds bien plantés dans le sol, les vibrations de Balder lui parcourant délicieusement les os. , frissons électriques lui traversant la chair, une douleur sans pareille, que seule la sensation de chaleur due au frottement de ses doigts fins contre les cordes pouvait égaler.
ses pensées étaient tournée vers le punk, ses mains savaient ce qu’elles avaient a faire, elle avait entendu cette chanson des centaines de fois, elle l’avait jouée des dizaines de fois, tapant le bœuf avec la petite bande de l’Akatemia, elle ne se laissait pas démonter, oscillant entre les différentes lignes de violoncelle, gardant la rythmique de Paavo quand, elle devait le soutenir, l’accompagner, pour revenir sur celles de Perttu quand c’était a la musique de reprendre de la place, afin que le chanteur récupère quelques sur quelques mesures.

Il pouvait surement sentir toute la ferveur, presque religieuse dans chaque pression sur les cordes, chaque mouvement d’archer, la puissance de l’échange entre Baldr, Rain et tout ce qui l’entourait. C’était clair : elle ne jouait pas que pour elle, il n’y avait pas qu’elle qui jouait, mais chaque putain d’atome de son corps, chaque fibre de l’instrument, même l’air qu’elle respirait s’y mettait , et pourtant , elle embarquait ses sens ailleurs, et a entendre Sohan, lui aussi se sentait partir a chaque mesure de prise : sa voix se faisait plus stable, moins hésitante, il se fiait enfin a lui-même, tout en se laissant diriger par le rythme implacable qu’elle mettait en place note après note, ne lui laissant pas d’autre choix que le la suivre : la musique, même si elle n’était qu’émotion avait aussi un coté militaire qui exigeait rigueur, technique, et acharnement… pourtant, cela semblait tellement simple quand on la regardait faire, comme si elle était née avec dans les gènes, comme si Mother nature avait dit « toi, Rain Erika O’Donovan, tu sera musicienne ». Cette aisance masquait parfaitement les heures de travail, les larmes de rage, la pulpe des doigts devenue corne quand elle avait a peine huit ans et que les autres petites filles allaient simplement a la maison jouer avec leurs poupées, pendant qu’elle jouait du Bach sous la direction d’un véritable nazi de la rythmique, tyran qui ne laissait pas de place a l’improvisation, ne voyant que par la partition. Quelques éclats d’une période d’enfance volée, qu’elle ne regrette pas… on ne regrette pas un peu de peau durcie quand on se sent décoller, emporté par des ailes plus grandes et plus puissantes que celle des aigles vivant des les Fjords norvégiens, on ne regrette pas de pouvoir saisir a pleines mains les étoiles en plein jour.*

Ya du mieux. Arrête d’utiliser ton nez, ce n’est pas beau. C’est ton palet qui doit fait tout le boulot au niveau des « n » et des « m ».

* Elle fit une brève pause, le temps de s’accorder a nouveau attaqua un morceau dans un registre complètement différent: Pahinta Tänään d’Indica. Le son de Baldr était différent : Elle saturait les cordes de son, rendant le violoncelle carrément électrique.
C’était un rock folk sous amphétamines de guerre, enfin, pour l’instant elle jouait juste le refrain en instrumental pour se laisser le temps d se préparer, de décoller Baldr de son estomac pour qu’elle ne soit pas gênée. Elle attaqua la partie chantée comme si ce n’était pas elle qui tenait le violoncelle. Elle tint le truc toute la chanson, sans se faire avoir par la tentation perverse d’enchainer les « menne pois » sur l’avant dernier refrain… C’avait été une petite démo pour un grand plaisir. Et pour Sohan l’occasion de découvrir de quelle langue venait l’accent de Rain quand elle parlait anglais.*